★ you have to answersi tu es un assassin : Le ciel s'éclaircit lentement. Il passe du noir au bleu marine et finira plus clair encore. C'est comme être emprisonné dans une sphère qu'on peint à la gouache qu'on dissout dans de l'eau, encore, encore, encore. Les silhouettes lourdes des maisons se dessinent peu à peu. Les nuages s'animent un peu, s'étirent en se réveillant et partent travailler autour du monde pour la journée.
Sur les toits en tuiles rouges et oranges flotte une autre silhouette. Une fine, mouvante. Debout là-haut, elle regarde les nuages s'éveiller et leur fait une révérence. Politesse et tendresse. Demoiselle lance une jambe en avant, une autre et la suivante, s'élance entre deux bâtisses, d'une tuile à l'autre, elle se suspend aux enseignes des magasins, grimpe sur le rebord des fenêtres.
La silhouette n'est pas bien grande, pas même un mètre cinquante – mais la demoiselle cachée derrière le mystère de cette silhouette ne l'est pas plus. Elle a l'air de voler tant ses petites pattes vont vite. Neuf ans ou dix, elle n'en a pas plus. Tout a l'air d'un jeu, et ses bras s'envolent et tournent et elle s'amuse. Elle rejoint une silhouette plus grande, plus costaud. La main du grand se pose sur la tête de la petite et ébouriffe les longs cheveux blonds.
On les retrouve à l'est de la ville, au nord, au sud. Sur les toits de toutes les maisons, au sommet des clochers. Ils vont et viennent à deux, et ce qui est sérieux et question professionnelle pour l'un n'est qu'un jeu pour l'autre. Le rire cristallin de la gamine résonne en haut des toits, au-dessus des gens. Elle part avec les oiseaux. Quand on la revoit plus tard, soleil haut dans le ciel, elle est au fond de son lit. Cachée sous les grosses couvertures, rideaux tirés mais pas opaques. La grande silhouette s'approche d'elle, embrasse son front, et repart. Passe derrière la fenêtre du couloir, du salon de la salle à manger, finit à la cuisine. Tout ça, c'est le jeu de sa vie à lui – mais un jour, quand il ne sera plus là, qu'il ne sera plus qu'un oiseau qui vole avec elle dans le ciel, au-dessus des toits et des nuages, il faudra qu'elle soit là, il faudra qu'elle continue le jeu qu'il lui apprend petit à petit. Le jeu qui bientôt n'en sera plus un. Le jeu où on a pas le choix de recommencer la partie ou abandonner, le jeu où le moindre faux mouvement est fatal ou peut l'être.
Et la revoilà, la blonde, qui joue toujours sur les toits. Elle a toujours la même manie de faire la révérence au nuage. La même obsession de les suivre, de les dépasser. Celle d'aller jusque avec les oiseaux. Elle s'envole sur les toits et on croirait voir des ailes dans son dos. Sous les longues manches, elle caresse doucement les fines lames. Simple habitude.
Elle est toujours là parce qu'on ne lui a jamais dit où aller d'autre. Alors elle y reste. Elle connaît les règles du jeu, connaît ses adversaires. Le but, c'est gagner. Sans seconde chance. Elle décevrait de toute façon trop. L'oiseau qui vole avec elle. Elle sait qu'il pleurerait, et elle se noierait dans ses larmes ou en serait acidifiée.
Alors elle joue. Encore. L'oiseau ne lui a jamais dit d'arrêter de jouer. Elle attend patiemment. Elle gagne, régulièrement. Toujours. Elle continuera jusqu'à perdre. Elle demande souvent qui sont les adversaires. Pourquoi le sont-ils, mais elle ne se souvient jamais. Elle se souvient juste de la grande silhouette qui lui disait de ne jamais les laisser gagner.
Elle est enfantine, la gamine. Elle a la vie pour jeu et la Terre pour plateau. Elle ne connaît du jeu que les règles, et que tous dans sa famille y sont passé avant. Et tous ont perdu. Alors elle regarde les nuages, fait la révérence. Attend que l'oiseau passe, et s'envole avec lui sur les toits, à la recherche du prochain. Cette fois elle en est sûre, elle ne perdra pas la partie.
★ let me read you
C'est l'histoire de la petite fille qui parlait au vent. Elle marchait les pieds nus dans un grand jardin vert, et baladait ses grands yeux bleus d'arbre en arbre. Elle s'appuyait contre un tronc, sur la pointe des pieds, et tendait le bras aussi haut que possible, tellement que son bras aurait pu s'arracher. Elle en tombe, la gamine, mais se rattrape dans les bras de son père, derrière. Aujourd'hui encore, il lui montre comment faire. Son bras se tend, haut, très haut. Dans ses yeux à elle, il toucherait le ciel, décrocherait les étoiles. Pour le moment, il n'attrape qu'une simple branche, assez grosse pour supporter son poids. Il s'étire, s'élance jusqu'en haut, s'appuie sur le tronc au besoin. Quand elle lève les yeux, il lui fait coucou d'en haut. Tout va toujours à une vitesse folle, avec lui. Deux secondes plus tard, c'est elle qui s'y essaie, sur une branche moins haute, et elle grimpe, et elle grimpe. Elle sourit au paternel fier d'elle, qui l'emmène encore plus haut, jusqu'à la dernière branche. Elle, elle n'a pas peur du vide. Elle, elle rêvait d'être funambule. De jouer avec le hasard, de défier son équilibre et voir qui de lui ou sa volonté et sa concentration tiendra le plus longtemps. Parfois, plus tard, elle s'aventurera sur les branches les plus fines, tentera le diable à dix mètres au-dessus terre.
Si demoiselle avait abordé les choses plus sérieusement, plus solennellement, il n'y a aucun doute : elle serait tombé. Manque de chance, à ce jeu là, on n'a pas souvent la chance de pouvoir retenter. Alors c'est un jeu, un vrai. Celui où il faut être le meilleur, comme à la balle au prisonnier. Il faut attaquer tous les autres, sans se laisser avoir. Jamais. Pas une seule fois en un, trois, dix, vingt ou cent ans. Et jouer jusqu'au dernier coup de sifflet, le même qui a débuté la partie quand elle avait dix ans, la gamine. Elle a commencé par de l'entrainement, du pour de faux. Elle a attaqué des épouvantails aux grands yeux-boutons, et des assiettes qui volent dans les airs, elle les a eus. Elle a joué tous les jours, pour gagner la partie ultime. On lui a présenté ses coéquipiers. Elle n'est pas encore sûre d'arriver à les reconnaître, mais elle voit plus facilement le camp adverse. L'important dans le jeu n'est pas d'avantager son équipe, mais de désavantager l'autre équipe. Pour finir par gagner. Elle doit gagner. Avec, sans coéquipiers.
A chaque fois, la fois du paternel résonne dans sa tête.
Réussis, améliore-toi, rends-moi fier - je t'offrirais la poupée de tes rêves si tu y arrives.C'est idiot, à vingt ans passés, de s'accrocher à une poupée. Une promesse, une proposition tout au plus. Mais boucle d'or n'a pas grandi. Une maladie, peut-être. Un dérèglement dans la cafetière. Un sérieux problème. Le bien, le mal, c'est flou. La douleur, ça n'est qu'une information. La mort, un choix du faible. La vie, le combat, la guerre - un jeu infini.